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ARCHIVES DE L UNION DE VILLES
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7 novembre 2007 3 07 /11 /novembre /2007 22:13
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Bilan d’Octobre

 

Chers auditeurs, je me permets de penser que les contradictions, les difficultés, les fautes et les insuffisances du régime soviétique ne me sont pas moins connues qu’à qui que ce soit. Personnellement, je ne les ai jamais dissimulées, ni en paroles ni en écrits. Je pensais et je pense que la politique révolutionnaire – à la différence de la politique conservatrice – ne peut être édifiée sur le camouflage. « Exprimer ce qui est » : ce doit être le principe le plus élevé de l’Etat ouvrier.

 

Mais il faut des perspectives dans la critique comme dans l’activité créatrice. Le subjectivisme est un mauvais aiguilleur, surtout dans les grandes questions. Les délais doivent être adaptés aux tâches et non aux caprices individuels. Quinze années ! Qu’est-ce pour une seule vie ? Pendant ce temps, nombreux sont ceux de notre génération qui furent enterrés. Chez les survivants, les cheveux gris se sont beaucoup multipliés. Mais ces mêmes quinze années, quelle période minime dans la vie d’un peuple ! Rien qu’une minute sur la montre de l’histoire.

 

Le capitalisme eut besoin de siècles pour s’affirmer dans la lutte contre le moyen-âge, pour élever la science et la technique, pour construire les chemins de fer, pour tendre des fils électriques. Et alors ? Alors, l’humanité fut jetée par le capitalisme dans l’enfer des guerres et des crises ! Mais au socialisme, ses adversaires, c’est-à-dire les partisans du capitalisme, n’accordent qu’une décade et demie pour instaurer sur terre le paradis avec tout le confort. Non, nous n’avons pas pris sur nous de telles obligations. Nous n’avons pas posé de tels délais. On doit mesurer les processus de grands changements sur une échelle qui leur soit adéquate. Je ne sais si la société socialiste ressemblera au paradis biblique. J’en doute fort. Mais dans l’Union Soviétique, il n’y a pas encore de socialisme. Un état de transition y domine, plein de contradictions, chargé du lourd héritage du passé, soumis à la pression ennemie des Etats capitalistes. La révolution d’Octobre a proclamé le principe de la nouvelle société. La République soviétique n’a montré que le premier stade de sa réalisation. La première lampe d’Edison fut très mauvaise. Sous les fautes et les erreurs de la première édification socialiste, on doit savoir discerner l’avenir.

 

Et les calamités qui s’abattent sur les êtres vivants ? Les résultats de la révolution justifient-ils les victimes causées par elle ? Question stérile et profondément rhétorique : comme si les processus de l’histoire relevaient d’un plan comptable ! Avec autant de raison, face aux difficultés et peines de l’existence humaine, on pourrait demander : cela vaut-il vraiment la peine d’être sur terre ? Lénine écrivit à ce propos : « Et le sot attend une réponse »... Les méditations mélancoliques n’ont pas interdit à l’homme d’engendrer et de naître. Même dans ces jours d’une crise mondiale sans exemple, les suicides constituent heureusement un pourcentage peu élevé. Mais les peuples n’ont pas l’habitude de chercher refuge dans le suicide. Ils cherchent l’issue aux fardeaux insupportables dans la révolution.

 

En outre, qui s’indigne au sujet des victimes de la révolution socialiste ? Le plus souvent, ce sont ceux qui ont préparé et glorifié les victimes de la guerre impérialiste ou du moins qui s’en sont très facilement accommodés. C’est notre tour de demander : la guerre s’est-elle justifiée ? Qu’a-t-elle donné ? Qu’a-t-elle enseigné ?

 

Dans ses 11 volumes de diffamation contre la Grande Révolution française, l’historien réactionnaire Hippolyte Taine décrit non sans une joie maligne les souffrances du peuple français dans les années de la dictature jacobine et celles qui la suivirent. Elles furent surtout pénibles pour les couches inférieures des villes, les plébéiens, qui, comme sans-culotte, donnèrent à la révolution la meilleure partie de leur âme. Eux ou leurs femmes passaient des nuits froides dans des queues pour retourner le lendemain les mains vides au foyer familial glacial. Dans la dixième année de la révolution, Paris était plus pauvre qu’avant son éclosion. Des faits soigneusement choisis, artificiellement compilés servent à Taine pour fonder son verdict destructeur contre la révolution. Voyez-vous, les plébéiens voulaient être des dictateurs et se sont jetés dans la misère.

 

Il est difficile d’imaginer un moraliste plus plat : premièrement, si la révolution avait jeté le pays dans la misère, la faute en retombait avant tout sur les classes dirigeantes qui avaient poussé le peuple à la révolution. Deuxièmement : la grande révolution française ne s’épuisa pas en queues de famine devant les boulangeries. Toute la France moderne, sous certains rapports toute la civilisation moderne sont sorties du bain de la révolution française !

 

Au cours de la guerre civile, aux Etats-Unis, pendant l’année 60 du siècle précédent, 50 000 hommes sont tombés. Ces victimes se justifient-elles ? Du point de vue des esclavagistes américains et des classes dominantes de Grande-Bretagne qui marchaient avec eux – non ! Du point de vue du nègre ou du travailleur britannique – complètement ! Et du point de vue général du développement de l’humanité – il ne peut aussi y avoir de doute. De la guerre civile de l’année 60 sont issus les Etats-Unis actuels, avec leur initiative pratique effrénée, la technique rationaliste, l’élan économique. Sur ces conquêtes de l’américanisme, l’humanité édifiera la nouvelle société.

 

La révolution d’Octobre a pénétré plus profondément que toutes celles qui la précédèrent dans le saint des saints de la société : dans les rapports de propriété. Des délais d’autant plus longs sont nécessaires pour que se manifestent les suites créatrices de la révolution dans tous les domaines de la vie. Mais l’orientation générale du bouleversement est maintenant déjà claire devant ses accusateurs capitalistes : la République soviétique n’a aucune raison de courber la tête et de parler le langage de l’excuse.

 

Pour apprécier le nouveau régime au point de vue du développement humain, on doit d’abord répondre à la question : en quoi s’extériorise le progrès social, et comment peut-il se mesurer ? Le critère le plus objectif, le plus profond et le plus indiscutable, c’est le progrès qui peut se mesurer par la croissance de la productivité du travail social. L’estimation de la révolution d’Octobre, sous cet angle, est déjà donnée par l’expérience. Pour la première fois dans l’histoire, le principe de l’organisation socialiste a montré sa capacité en fournissant des résultats de production jamais obtenus dans une courte période.

 

En chiffres d’index globaux, la courbe du développement industriel de la Russie s’exprime comme suit. Posons pour l’année 1913, la dernière année avant la guerre, le nombre 100. L’année 1920, le sommet de la guerre civile, est aussi le point le plus bas de l’industrie : 25 seulement, c’est-à-dire un quart de la production d’avant-guerre ; 1925, un accroissement jusqu’à 75, c’est-à-dire jusqu’aux trois-quarts de la production d’avant-guerre ; 1929, environ 200 ; 1932, l’indice est de 300, c’est-à-dire trois fois plus qu’à la veille de la guerre.

 

Le tableau devient encore plus clair à la lumière des index internationaux. De 1925 à 1932, la production industrielle de l’Allemagne a diminué d’environ une fois et demie ; en Amérique, environ du double ; en Union Soviétique, elle a plus que quadruplé. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

 

Je ne songe nullement à nier ou à dissimuler les côtés sombres de l’économie soviétique. Les résultats des index industriels sont extraordinairement influencés par le développement non favorable de l’économie agraire, c’est-à-dire du domaine qui ne s’est pas encore élevé aux méthodes socialistes, mais qui fut en même temps mené sur la voie de la collectivisation, sans préparation suffisante, plutôt bureaucratiquement que techniquement et économiquement. C’est une grande question qui, cependant, déborde les cadres de ma conférence.

 

Les chiffres des indices présentés appellent encore une réserve essentielle. Les succès indiscutables et brillants à leur façon de l’industrialisation soviétique exigent une vérification économique ultérieure du point de vue de l’harmonie réciproque des différents éléments de l’économie, de leur équilibre dynamique et, par conséquent, de leur capacité de rendement. De grandes difficultés et même des reculs sont encore inévitables. Le socialisme ne sort pas dans sa forme achevée du plan quinquennal, comme Minerve de la tête de Jupiter ou Vénus de l’écume de la mer. On est encore devant des décennies de travail opiniâtre, de fautes, d’amélioration et de reconstruction. En outre, n’oublions pas que l’édification socialiste, par essence, ne peut atteindre son achèvement que sur l’arène internationale. Mais même le bilan économique le plus défavorable des résultats obtenus jusqu’à présent ne pourrait révéler que l’inexactitude des données, les fautes du plan et les erreurs de la direction ; il ne pourrait contredire le fait établi empiriquement : la possibilité d’élever la productivité du travail collectif à une hauteur jamais existante à l’aide de méthodes socialistes. Cette conquête, d’une importance historique mondiale, personne et rien ne pourra nous la dérober.

 

Après ce qui vient d’être dit, à peine faut-il s’attarder sur les plaintes selon lesquelles la révolution d’Octobre a mené la Russie au déclin de la culture. Telle est la voix des classes dirigeantes et des salons inquiets. La « culture » aristocratico-bourgeoise renversée par la révolution prolétarienne n’était qu’une simili-parure de la barbarie. Pendant qu’elle restait inaccessible au peuple russe, elle n’apportait presque rien de neuf au trésor de l’humanité.

 

Par ailleurs, en ce qui concerne cette culture tant pleurée par l’émigration blanche, on doit poser la question : dans quel sens est-elle détruite ? Dans un seul sens : le monopole d’une petite minorité sur les biens de la culture est anéanti. Mais tout ce qui était réellement culturel dans l’ancienne culture russe est resté intact. Les Huns du bolchevisme n’ont piétiné ni la conquête de la pensée, ni les oeuvres de l’art. Au contraire : ils ont soigneusement rassemblé les monuments de la création humaine et les ont mis en ordre exemplaire. La culture de la monarchie, de la noblesse et de la bourgeoisie est maintenant devenue la culture des musées historiques.

 

Le peuple visite avec zèle ces musées. Mais il ne vit pas dans les musées. Il apprend. Il construit. Le seul fait que la révolution d’Octobre ait enseigné au peuple russe, aux dizaines de peuples de la Russie tsariste, à lire et à écrire, se place incomparablement plus haut que toute la culture russe en serre d’autrefois.

 

La révolution d’Octobre a posé la base pour une nouvelle culture destinée non à des élus, mais à tous. Les masses du monde entier le sentent. D’où leurs sympathies pour l’Union Soviétique, aussi ardentes qu’était jadis leur haine contre la Russie tsariste.

 

Chers auditeurs, vous savez que le langage humain représente un outil irremplaçable, non seulement pour la désignation des événements mais aussi pour leur estimation. En écartant l’accidentel, l’épisodique, l’artificiel, il absorbe en lui le réel, il le caractérise et le ramasse. Remarquez avec quelle sensibilité les langues des nations civilisées ont distingué deux époques dans le développement de la Russie. La culture aristocratique apporta dans le monde des barbarismes tels que tsar, cosaque, pogrome, nagaika [fouet]. Vous connaissez ces mots et vous savez ce qu’ils signifient. Octobre apporta aux langues du monde des mots tels que Bolchevik, Soviet, Kolkhoz, Gosplan [Commission du plan], Piatiletka [Plan quinquennal]. Ici la linguistique pratique rend son jugement historique suprême !

 

La signification la plus profonde de chaque révolution, et cependant plus difficilement soumise à une mesure immédiate, consiste en ce qu’elle forme et trempe le caractère populaire. La représentation du peuple russe comme un peuple lent, passif, mélancolique et mystique est largement répandue et non par hasard. Elle a ses racines dans le passé. Mais jusqu’à présent, ces modifications profondes que la révolution a introduites dans le caractère du peuple ne sont pas suffisamment prises en considération en Occident. Pouvait-il en être autrement ?

 

Chaque homme avec une expérience de la vie peut éveiller dans sa mémoire l’image d’un adolescent quelconque connu de lui qui – impressionnable, lyrique, sentimental enfin – devient plus tard, d’un seul coup, sous l’action d’un puissant choc moral, plus fort, mieux trempé et n’est plus reconnaissable. Dans le développement de toute une nation, la Révolution accomplit des transformations morales du même genre.

 

L’insurrection de février contre l’autocratie, la lutte contre la noblesse, contre la guerre impérialiste, pour la paix, pour la terre, pour l’égalité nationale, l’insurrection d’Octobre, le renversement de la bourgeoisie et des partis qui tendaient à des accords avec la bourgeoisie, trois années de guerre civile sur un front de 8000 kilomètres, les années de blocus, de misère, de famine et d’épidémies, les années d’édification économique tendue, les nouvelles difficultés et privations : tout cela est une rude mais bonne école. Un lourd marteau détruit le verre, mais forge l’acier. Le marteau de la révolution forge l’acier du caractère du peuple.

 

Peu après l’insurrection un des généraux tsaristes, Zaleski, s’étonnait « qu’un portier ou qu’un gardien devienne d’un coup un président de tribunal ; un infirmier, directeur d’hôpital ; un coiffeur, dignitaire ; un enseigne, commandant suprême ; un journalier, maire ; un serrurier dirigeant d’entreprise ».

 

« Qui le croira ? » On devait déjà le croire. On ne pouvait d’ailleurs pas ne pas le croire, tandis que les enseignes battaient les généraux, le maire, autrefois journalier, brisait la résistance de la vieille bureaucratie, le lampiste mettait de l’ordre dans les transports, le serrurier, comme directeur, rétablissait l’industrie. « Qui le croira ? » Qu’on tente seulement de ne pas le croire.

 

Pour expliquer la patience inhabituelle que les masses populaires d’Union Soviétique montrèrent dans les années de la révolution, nombre d’observateurs étrangers font appel, par ancienne habitude, à la passivité du caractère russe. Anachronisme grossier ! Les masses révolutionnaires supportèrent les privations patiemment, mais non passivement. Elles construisent de leurs propres mains un avenir meilleur et elles veulent le créer à tout prix. Que l’ennemi de classe essaie seulement d’imposer sa volonté à ces masses patientes ! Non, mieux vaut qu’il ne l’essaie pas !

 

Pour conclure, essayons de fixer la place de la révolution d’Octobre non seulement dans l’histoire de la Russie, mais dans l’histoire du monde. Pendant l’année 1917, dans l’intervalle de 8 mois, deux courbes historiques se rencontrèrent. La révolution de février – cet écho attardé des grandes luttes qui se sont déroulées dans les siècles passés sur les territoires des Pays-Bas, d’Angleterre, de France et de presque toute l’Europe continentale – se lie à la série des révolutions bourgeoises. La révolution d’Octobre proclame et ouvre la domination du prolétariat. C’est le capitalisme mondial qui subit sur le territoire de la Russie sa première grande défaite. La chaîne se brisa au plus faible maillon. Mais c’est la chaîne qui se brisa, et non seulement le maillon.

 

Vers le socialisme

 

Le capitalisme, comme système mondial, s’est historiquement survécu. Il a cessé de remplir sa mission essentielle : l’élévation du niveau de la puissance humaine et de la richesse humaine. L’humanité ne peut stagner sur le palier atteint. Seule une puissante élévation des forces productives et une organisation juste, planifiée, c’est-à-dire socialiste, de production et de répartition, peut assurer aux hommes – à tous les hommes – un niveau de vie digne et leur conférer, en même temps, le sentiment précieux de la liberté face à leur propre économie. De la liberté sous deux sortes de rapports : premièrement, l’homme ne sera plus obligé de consacrer la principale partie de sa vie au travail physique. Deuxièmement, il ne dépendra plus des lois du marché, c’est-à-dire des forces aveugles et obscures qui s’édifient derrière son dos. Il édifiera librement son économie, c’est-à-dire selon un plan, le compas en main. Cette fois, il s’agit de radiographier l’anatomie de la société, de découvrir tous ses secrets et de soumettre toutes ses fonctions à la raison et à la volonté de l’homme collectif. En ce sens, le socialisme doit devenir une nouvelle étape dans la croissance historique de l’humanité.

 

A notre ancêtre qui s’arma pour la première fois d’une hache de pierre, toute la nature se présenta comme la conjuration d’une puissance mystérieuse et hostile. Depuis, les sciences naturelles, en collaboration étroite avec la technologie pratique, ont éclairé la nature jusque dans ses profondeurs les plus obscures. Au moyen de l’énergie électrique, le physicien rend maintenant son jugement sur le noyau atomique. L’heure n’est plus lointaine où, en se jouant, la science résoudra la tâche de l’alchimie, transformant le fumier en or et l’or en fumier. La où les démons et les furies de la nature se déchaînaient règne maintenant toujours plus courageusement la volonté industrieuse de l’homme.

 

Mais tandis qu’il lutta victorieusement contre la nature, l’homme édifia aveuglément ses rapports avec les autres hommes, presque comme les abeilles ou les fourmis. Avec retard et beaucoup d’indécision, il aborda les problèmes de la société humaine. Il commença par la religion pour passer ensuite à la politique. La Réforme représenta le premier succès de l’individualisme et du rationalisme bourgeois dans un domaine où avait régné une tradition morte. La pensée critique passa de l’Eglise à l’Etat. Née dans la lutte contre l’absolutisme et les conditions moyenâgeuses, la doctrine de la souveraineté populaire et des droits de l’homme et du citoyen grandit. Ainsi se forma le système du parlementarisme. La pensée critique pénétra dans le domaine de l’administration de l’Etat. Le rationalisme politique de la démocratie signifiait la plus haute conquête de la bourgeoisie révolutionnaire.

 

Mais entre la nature et l’Etat se trouve l’économie. La technique a libéré l’homme de la tyrannie des anciens éléments – la terre, l’eau, le feu et l’air – pour le soumettre aussitôt à sa propre tyrannie. L’homme cesse d’être l’esclave de la nature pour devenir l’esclave de la machine et, pire encore, l’esclave de l’offre et de la demande. La crise mondiale actuelle témoigne d’une manière particulièrement tragique combien ce dominateur fier et audacieux de la nature reste l’esclave des puissances aveugles de sa propre économie. La tâche historique de notre époque consiste à remplacer le jeu déchaîné du marché par un plan raisonnable, à discipliner les forces productives, à les contraindre d’agir avec harmonie en servant docilement les besoins de l’homme. C’est seulement sur cette nouvelle base sociale que l’homme pourra redresser son dos fatigué et – non seulement des élus – mais chacun et chacune, devenir un citoyen ayant plein pouvoir dans le domaine de la pensée.

 

Mais cela n’est pas encore l’extrémité du chemin. Non, ce n’en est que le commencement. L’homme se désigne comme le couronnement de la création. Il y a certains droits. Mais qui affirme que l’homme actuel soit le dernier représentant le plus élevé de l’espèce homo sapiens ? Non, physiquement comme spirituellement, il est très éloigné de la perfection, cet avortement biologique dont la pensée est malade et qui ne s’est créé aucun nouvel équilibre organique.

 

Il est vrai que l’humanité a plus d’une fois produit des géants de la pensée et de l’action, qui dépassent leurs contemporains comme des sommets sur des chaînes de montagne. Le genre humain a le droit d’être fier de ses Aristote, Shakespeare, Darwin, Beethoven, Goethe, Marx, Edison et Lénine. Mais pourquoi ceux-ci sont-ils si rares ? Avant tout, parce qu’ils sont issus à peu près sans exception des classes les plus élevées ou moyennes. A de rares exceptions près, les étincelles du génie sont étouffées, dans les profondeurs opprimées du peuple, avant même qu’elles puissent jaillir. Mais c’est aussi parce que le processus de génération, de développement et d’éducation de l’homme resta et reste en son essence le fait du hasard, non éclairé par la théorie et la pratique, non soumis à la conscience et à la volonté.

 

L’anthropologie, la biologie, la physiologie, la psychologie ont rassemblé des montagnes de matériaux pour ériger devant l’homme, dans toute leur ampleur, les tâches de son propre perfectionnement corporel et spirituel et de son développement ultérieur. Par la main géniale de Sigmund Freud, la psychanalyse a soulevé le couvercle du puits poétiquement nommé « l’âme » humaine. Et qu’est-il apparu ? Notre pensée consciente ne constitue qu’une petite partie du travail des obscures forces psychiques. De savants plongeurs descendent au fond de l’océan et y photographient de mystérieux poissons. Pour que la pensée humaine descende au fond de son propre puits psychique, elle doit éclairer les mystérieuses forces motrices de l’âme et les soumettre à la raison et à la volonté.

 

Quand il en aura terminé avec les forces anarchiques de sa propre société, l’homme travaillera sur lui-même dans les mortiers, dans les cornues du chimiste. Pour la première fois, l’humanité se considérera elle-même comme une matière première, et dans le meilleur des cas comme un produit physique et psychique semi-achevé. Le socialisme signifiera un saut du règne de la nécessité dans le règne de la liberté, aussi en ce sens que l’homme d’aujourd’hui, plein de contradictions et sans harmonie, frayera la voie à une nouvelle race plus heureuse.

 

Léon Trotsky (le 7 nov 1932)

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